Le film commence alors que le soleil s’est couché. C’est à Marseille et le lait est sur le feu. Il bout, déborde et reprend sa liberté liquide pour dévaler les pentes de la ville jusqu’au port. Son mouvement est continu. De timide filet blanc, il devient ruisseau impétueux comme si au fur et à mesure de son cheminement, il gagnait foi en son pouvoir de réinitialiser la ville, de la faire renaître par ses qualités vitales, fécondes et primitives. Le liquide nourricier, dans sa puissance symbolique, devient un guide pour lire la ville. Il agit comme un révélateur de l’environnement. Il se répand majestueusement sur une volée d’escaliers, chute d’un pilier, rencontre une personne dormant dans la rue, puis une famille entière sous des couvertures de fortune, seul un homme est éveillé.
La nuit nous fait basculer dans un temps de vulnérabilité… Comme lorsque l’univers sortait du chaos primordial et qu’Héraclès, nourrisson et déjà demi- dieu, tentait de téter en mordant le sein d’Héra, sa mère endormie. On raconte qu’un jet de lait intempestif gicla de la mamelle divine et dessina la via lacta, la voie laiteuse. Chez les Grecs Anciens, elle était le chemin des âmes vers l’autre monde.
Le sentier du lait est, lui, bien ancré au sol de la réalité quotidienne : les routes de la ville et ses trottoirs, ses gyrophares, ses dealeurs, les reflets des lumières de la grande roue et les reliefs d’un marché clandestin… L’écume lactée métamorphose une plaque d’égout en une rosace de soleil chauffé à blanc. « Le lait est un élément incontrôlable, qui fait son chemin, sans prédestination, qui dessine en négatif un portrait de la ville. Qui la révèle même. C’est presque un serpent, une animalité liquide », déclare Marie Bovo.
Annabelle Grugnon
(De l’éclair à l’obscur)
Au Plateau multimédia du Frac